L’HEURE DES SORCIÈRES

Artistes  : Jean-Luc Blanc, Lindsey Bull, Georges Devy & L. Dalliance, Florence Doléac, Camille Ducellier, Mary Beth Edelson, León Ferrari, Derek Jarman, Richard John Jones & Max Allen, Latifa Laâbissi, Bruce Lacey, Adolphe Lalauze, Evariste-Vital Luminais, Ana Mendieta, Anita Molinero, Marie Preston, Olivia Plender & Patrick Staff, Carolee Schneemann & Victoria Vesna, Kiki Smith, Nancy Spero Commissaire  : Anna ColinL’Heure des sorcières est une exposition collective qui porte sur la figure de la sorcière comme métaphore de l’altérité et symbole de résistance à la norme, qu’elle soit culturelle ou économique. Le terme « sorcière » est ici envisagé comme construction sociale : plus qu’à la praticienne de la sorcellerie, l’exposition s’intéresse à celle qui a été qualifiée de sorcière (par le judiciaire, les institutions religieuses ou l’opinion publique) et celle qui s’autoproclame sorcière sans pour autant pratiquer la sorcellerie. À travers les siècles et les contextes géographiques, l’expression « sorcière » a été appliquée par les détenteurs du pouvoir à des femmes considérées comme dangereuses ou importunes. Cette dénomination, qui invoque un potentiel de renversement de ce même pouvoir, a été directement appropriée par des artistes, militantes et autres agitatrices, de la chorégraphe Mary Wigman dès les années 1910 à la militante et écrivaine contemporaine Starhawk. Dans les années 1970, la figure de la sorcière deviendra un symbole prégnant des luttes féministes et homosexuelles en Europe et aux États-Unis, amenant nombre de militant(e)s à investiguer et réécrire l’histoire occultée des chasses aux sorcières qui se sont déroulées en Europe et dans ses colonies du XVème au XVIIIème siècle.L’installation de l’artiste américaine Mary Beth Edelson, intitulée Propositions pour des mémoriaux aux 9 000 000 de femmes brûlées comme sorcières pendant l’ère chrétienne, est caractéristique de cette tendance. Originellement conçue pour A.I.R. Gallery à New York, une galerie coopérative pour femmes, cette œuvre participative de 1977 est reconstruite spécialement pour l’exposition au Quartier. Comprenant une table ronde, une échelle enflammée, des dessins, des documents et des fiches vierges, Propositions pour des mémoriaux… invite les visiteurs à s’exprimer sur les chasses aux sorcières par la conversation, l’écriture et le rituel.L’Heure des sorcières inclut d’autres pionnières du mouvement artistique féministe aux États-Unis dont Nancy Spero, représentée par un diptyque dédié à la déesse égyptienne Nut, mère de tous les astres ; Ana Mendieta avec la série de photographies et de vidéos Siluetas dans laquelle son corps rentre en communion rituelle avec la nature ; ou encore Carolee Schneemann, à travers une vidéo réalisée en collaboration avec Victoria Vesna sur le tabou sexuel et les rapports chat-femme, notamment à l’époque des procès en sorcellerie. Les positions artistiques, politiques et spirituelles de ces artistes côtoient celles de praticien(ne)s de la plus jeune génération pour qui la figure de la sorcière continue d’être une alliée politique et idéologique.Utilisant des outils documentaires aussi bien qu’expérimentaux, le film de Camille Ducellier intitulé Sorcières, mes sœurs, 2010 propose cinq portraits de femmes et/ou féministes de différentes générations qui s’autoproclament sorcières. L’artiste y examine le potentiel subversif de cette figure, ainsi que les leçons sociales et humaines qu’elle nous a léguées. Dans d’autres œuvres, la figure de la sorcière est abordée de biais, c’est-à-dire au travers de sujets et pratiques auxquels elle est plus librement associée. Les contre-cultures, les communautés intentionnelles, les pratiques rituelles, le retour à la nature et le culte de la déesse Mère (représentative de la terre, de la fécondité et de la fertilité), en sont quelques-uns. Orchestré par Olivia Plender et Patrick Staff, le film participatif Life in the Woods, 2011 retrace une expérience de vie commune dans une forêt du Leicestershire. Les participants incluent des folkloristes, des sorcières auto-revendiquées, des naturalistes et des artistes d’horizons variés qui ont de commun leur engagement pour un monde autre où le corps, la voix et le rapport à la nature seraient reconsidérés et primés. Produite spécialement pour l’exposition et réalisée en collaboration avec le couturier Max Allen, la pièce de Richard John Jones, Develop Your Legitimate Strangeness, est une série de costumes inspirée par l’esthétique de Radical Faerie Fabrications. Cet atelier artisanal, actif à la fin des années 1980, était rattaché aux Radical Faeries, un groupe international et contre-culturel fondé dans les années 1970 en Californie aspirant à redéfinir la conscience queer à travers la spiritualité.Le retour de la sorcière comme incarnation radicale dans l’imaginaire militant occidental doit avant tout beaucoup au mythe. L’exposition se propose d’explorer comment la figure de la sorcière, ses supposées pratiques et ses complices chimériques ont été inventés, représentés et colportés au fil des siècles. L’œuvre de León Ferrari, L’Osservatore Romano (2001-07), dans laquelle il associe les titres du journal du Vatican à des images d’hérésie et de damnation par des artistes tels que Francisco Goya et Gustave Doré, invoque la violence et la psychose exercées par l’Église durant le Moyen Âge et au-delà. L’artiste Marie Preston interroge elle aussi l’iconographie du mythe et de sa colportation à travers une nouvelle œuvre qui s’intéresse aux activités nocturnes de la goémonière, telles que représentées dans le folklore finistérien.L’Heure des sorcières aborde enfin le caractère impalpable, à la fois effrayant et fascinant, qu’évoque cette figure. D’apparence spectrale, deux portraits de femmes réalisés par Jean-Luc Blanc semblent témoigner, dans une complainte silencieuse et inerte, de la torture qui leur a été infligée, voire qu’elles se seraient infligées elles-mêmes. Ces peintures partagent notamment l’espace avec trois sculptures d’Anita Molinero qui révèlent différentes interventions sur la matière. L’une d’elles présente un assemblage de pots d’échappements sur lesquels des fragments de plastique fondu pendent, évoquant l’univers libidineux et chaotique de la prostituée et recluse du village autrement nommée «  la fiancée du pirate  » dans le film éponyme de Nelly Kaplan. Le Salon d’Emmeline Avery, signé Florence Doléac, pourrait être celui des personnages fictionnels de Blanc et Molinero. Donnant une dimension domestique et farfelue à l’espace, le salon composé d’une table basse, de chaises couvertes de plaids de tartan, d’un caoutchouc Botanicus modifié et d’une lampe suspendue à une potence, permet la consultation d’ouvrages et de documents prolongeant les réflexions initiées par l’exposition.L’Heure des sorcières sera accompagnée d’une édition qui explorera les récits et recherches véhiculés dans les œuvres exposées au Quartier. Co-publiée par Éditions B42 et Le Quartier, son lancement est prévu pour avril 2014.L’exposition L’Heure des sorcières fait suite à la résidence d’Anna Colin à la Maison populaire de Montreuil, où sa recherche a pris la forme d’un cycle de trois expositions et d’une anthologie de textes : Sorcières, pourchassées, assumées, puissantes, queer (coédition B42 et Maison populaire, Montreuil, 2013).Artists : Jean-Luc Blanc, Lindsey Bull, Georges Devy & L. Dalliance, Florence Doléac, Camille Ducellier, Mary Beth Edelson, León Ferrari, Derek Jarman, Richard John Jones & Max Allen, Latifa Laâbissi, Bruce Lacey, Adolphe Lalauze, Evariste-Vital Luminais, Ana Mendieta, Anita Molinero, Marie Preston, Olivia Plender & Patrick Staff, Carolee Schneemann & Victoria Vesna, Kiki Smith, Nancy Spero Guest Curator : Anna ColinThe group exhibition « L’Heure des sorcières » touches on the figure of the witch as a metaphor for alterity and a symbol of resistance to the norm, whether cultural or economic. The word ’witch’ (sorcière) is thought of here as a social construct. The exhibition is interested not so much in the one who practises witchcraft as in the one designated as a witch (by the law courts, religious institutions or public opinion) as well as the self-proclaimed witch, who nevertheless does not practise witchcraft.Over the centuries and in different geographical contexts, the ’witch’ label has been applied by those in power to women considered dangerous or bothersome. The designation, with its suggestions of a potential reversal of that very power, has been directly appropriated by artists, militants and other agitators – from choreographer Mary Wigman, as early as 1910, to contemporary militant and writer Starhawk. In the 1970s, the figure of the witch became a potent symbol of the feminist and gay movements in Europe and the United States, leading many activists to research and rewrite the obscured history of the witch-hunts in Europe and its colonies from the 15th to the 18th century.The installation by American artist Mary Beth Edelson, Proposals for : « Memorials to the 9,000,000 Women Burned as Witches in the Christian Era », is characteristic of that movement. Originally conceived in 1977 for A.I.R. Gallery, New York’s first artist-run gallery for women, this participatory work has now been reconstructed specially for the exhibition at Le Quartier. Consisting of a round table, a burning ladder, drawings, documents and blank cards, « Proposals for… » invites visitors to express themselves on the subject of witch-hunts through conversation, writing and ritual.« L’Heure des sorcières » includes other pioneers of the feminist art movement in the United States. Nancy Spero is represented by a diptych dedicated to the Egyptian goddess Nut, the mother of all the stars ; Ana Mendieta by photographs and videos from the « Siluetas »series, in which her body enters into ritual communion with nature ; and Carolee Schneemann by a video made in collaboration with Victoria Vesna about sexual taboos and the woman-cat connections, particularly at the time of the witchcraft trials. The artistic, political and spiritual positions of these artists run alongside those of the younger generation of artists, for whom the figure of the witch is still a political and ideological ally.Camille Ducellier’s 2010 film « Sorcières, mes sœurs » uses experimental as well as documentary tools to present five portraits of women and/or feminists, from different generations, who proclaim themselves witches. Ducellier investigates the subversive potential of the figure of the witch, as well as the social and human lessons to be learned from her. In other works in the exhibition, the figure of the witch is approached more obliquely, that is through subjects and practices generally associated with her – for example, counter cultures, intentional communities, ritual practices, the return to nature, and the cult of the Mother goddess (representing earth, fertility and fecundity).Olivia Plender and Patrick Staff’s collective film « Life in the Woods » (2011) traces an experiment in communal living in a Leicestershire wood. The participants include folklore specialists, self-described witches, naturalists and artists from different backgrounds. What links them is a commitment to an alternative way of living in which the body, the voice and the relationship to nature are reconsidered and nurtured. Produced specially for the exhibition, Richard John Jones and Max Allen’s collaborative piece, « Develop Your Legitimate Strangeness », consists of a series of costumes inspired by the aesthetics of Radical Faerie Fabrications. This was a late 1980s craft workshop attached to the Radical Faeries, an international counter-culture group founded in California in the 1970s with the objective of redefining queer consciousness through spirituality.The return of the witch as a radical embodiment in the Western militant imagination owes a great deal to myth. The exhibition is an exploration of how the figure of the witch, her alleged practices and her chimerical accomplices have been invented, represented and circulated through the centuries. León Ferrari’s « L’Osservatore Romano » (2001-07) juxtaposes headlines from the Vatican newspaper with images of heresy and damnation in the work of artists such as Francisco Goya and Gustave Doré. His collages reference the violence and psychosis performed by the church in the Middle Ages and beyond. Artist Marie Preston also interrogates the iconography of the myth and the way it has been peddled, in a new work about the nocturnal activities of the female seaweed collectors and the way they are represented in Finisterre folklore in Brittany.« L’Heure des sorcières » lastly tackles the intangible, frightening yet fascinating nature of what the witch conjures up. Two ghostly portraits of women by painter Jean-Luc Blanc seem to represent a silent and inert lament for the torture inflicted on them, or that they may have inflicted on themselves. The paintings share a space with three sculptures by Anita Molinero, which reveal different interventions on materials. One is an assemblage of exhaust pipes with pieces of melted plastic hanging off them, evoking the lustful, chaotic world of the prostitute recluse of the village, known as the pirate’s fiancée in Nelly Kaplan’s eponymous film. Florence Doléac’s « Le Salon d’Emmeline Avery » could be the sitting room of Blanc or Molinero’s fictional characters. It lends an eccentric, domestic aspect to the space. In this salon composed of a coffee table, tartan covered chairs, a modified rubber plant and a lamp hanging from a gallows, books and documents associated with the exhibition’s themes are made available for consultation.« L’Heure des sorcières » is accompanied by a publication, which will explore the narratives and research involved in the works on display at Le Quartier. It is jointly published by Editions B42 and Le Quartier and is due to launch in April 2014.